- SILICEUSES (ROCHES BIOCHIMIQUES ET CHIMIQUES)
- SILICEUSES (ROCHES BIOCHIMIQUES ET CHIMIQUES)La silice, composant majeur des roches cristallines, est un des plus abondants produits de leurs décomposition à la surface du globe. Si elle constitue l’essentiel des roches d’origine détritique (cf. CONGLOMÉRATS, GRÈS, PÉLITES), elle forme aussi diverses roches d’origine chimique ou biochimique.Comme les roches siliceuses détritiques, les roches siliceuses biochimiques et chimiques sont des roches dures (dureté 7: elles rayent le verre et l’acier), inattaquées par les acides (sauf l’acide fluorhydrique), à cassure courbe et esquilleuse, à bords tranchants (cassure conchoïdale). Elles sont principalement formées d’opale (silice hydratée), de fibres de calcédoine et d’agglomérats cryptocristallins de grains de quartz. Elles résultent soit de l’accumulation de tests siliceux de protozoaires (radiolarites), de protophytes (diatomites) ou de spongiaires (spongolites), soit de la précipitation de silice dissoute (silex, chailles, meulières). Ces roches sont réparties dans toute la série stratigraphique. Façonnées, elles ont été les outils des hommes de la préhistoire, et leur choc fait jaillir le feu depuis plus d’un demi-million d’années. Aujourd’hui, leur principal usage est d’entrer, sous forme de cailloux, dans la fabrication du béton, matériau dont l’homme fait, après l’eau, la plus grande consommation.1. Roches sédimentaires siliceuses d’origine biochimiqueLes radiolaritesLes radiolarites sont des roches dans lesquelles la silice a été apportée par des tests de radiolaires. On retrouve la trace de ces protozoaires du groupe des Actinopodes en lame mince, parfois admirablement conservée, noyée dans un ciment de calcédoine ou de quartz microcristallin. Certaines radiolarites, comme celles, tertiaires, de la Barbade, apparaissent comme l’équivalent des boues à radiolaires actuelles qu’on rencontre par des fonds de 2 000 à 6 000 m dans les océans Indien et Pacifique, d’abord mêlées à des boues calcaires, puis de plus en plus pures (vers 4 000 m) par suite de la dissolution progressive de tous les éléments carbonatés.D’après leur structure, on distingue trois groupes de radiolarites: les jaspes, les lydiennes et les phtanites.Les jaspes sont généralement colorés en rouge ou en noir par des oxydes de fer et de manganèse, quelquefois mouchetés de vert et parfois rubanés. Leur bel aspect décoratif justifie leur emploi en architecture (chapelle des Médicis à Florence, escaliers de l’Opéra de Paris) et en joaillerie (calcédoine). Ils affleurent dans la plupart des chaînes géosynclinales, en particulier dans les Alpes («radiolarites» stricto sensu des géologues alpins), où ils sont associés aux roches vertes (ophiolites) dans les schistes lustrés déposés sous forme de calcschistes au Jurassique supérieur dans la zone piémontaise. Les jaspilites désignent des roches présentant des lits alternés de jaspe et d’hématite (Précambrien du lac Supérieur). Le terme «jaspéroïde» s’applique à des lits silicifiés dans les mines de zinc du Missouri, du Kansas et de l’Oklahoma.Les lydiennes (de Lydie, province d’Asie Mineure) sont des radiolarites entièrement noires: leur matrice quartzeuse micro-cristalline est obscurcie par un pigment d’origine organique, et les vestiges de radiolaires sont plus difficiles à identifier. Très dures, les lydiennes sont employées comme pierre de touche pour les essais de métaux précieux. On en trouve en France dans le Carbonifère de la Montagne Noire et des Pyrénées.Les phtanites sont des radiolarites fortement recristallisées en quartz, souvent colorées en vert pâle par de la chlorite, de l’épidote, ou des oxydes de fer, parfois graphiteuses (début de métamorphisme). Dans le Dévono-Dinantien de la vallée de la Bruche (Vosges), elles sont associées à des grauwackes et à des tufs volcaniques.Les diatomitesLes diatomites sont des roches blanches, grises, verdâtres ou jaunâtres, légères (densité voisine de 1), à porosité très élevée, tendres (les seules roches siliceuses consolidées rayables à l’ongle), bien que rugueuses au toucher, formées essentiellement par l’accumulation de tests ou frustules de diatomées (Bacillariophycées), algues unicellulaires siliceuses. Les diatomées vivant aussi bien dans les eaux douces que dans la mer, il existe à la fois des diatomites lacustres et des diatomites marines. À l’heure actuelle, les boues à diatomées se déposent dans toutes les mers, mais plus particulièrement dans les mers froides et au fond des grandes fosses océaniques.Les diatomites sont encore connues sous les noms de «farine fossile», «farine de montagne», «terre à infusoires», «tripoli» (de Tripoli au Liban) et «kielselguhr». La diatomite est utilisée comme abrasif (tripoli). A cause de sa forte porosité, Nobel l’employa comme absorbant de la nitroglycérine, pour fabriquer la dynamite. Aujourd’hui, on l’utilise surtout en sucrerie, raffinerie, brasserie, industrie pharmaceutique (pénicilline) comme adjuvant de filtration et de clarification. On l’exploite en France sur les flancs de la montagne d’Andance (Ariège), où elle s’est déposée dans un lac de barrage dû à une coulée basaltique au Miocène supérieur (présence d’Hipparion ). Lorsque la diatomite est mélangée à de l’argile, elle sert à fabriquer des briques calorifuges. Une autre diatomite lacustre a été exploitée au voisinage de la chaîne des Puys: c’est la randanite , de l’ancien lac de Randanne (Puy-de-Dôme).Les spongolitesLes spongolites sont des roches claires, verdâtres, poreuses et légères, presque exclusivement formées de spicules de spongiaires siliceux. L’opale des spicules, visible au microscope sous forme de baguettes cylindriques à canal axial, est parfois transformée en opale-cristobalite, décelable aux rayons X, et en calcédoine. Les spongolites stricto sensu sont assez rares; les spicules sont généralement associés à des éléments détritiques (quartz, glauconie) unis par un ciment d’opale: ce sont les gaizes , si fréquentes à la base du Cénomanien, en particulier dans l’Argonne et le pays de Bray. Les gaizes apparaissent ainsi comme des roches intermédiaires entre les roches siliceuses détritiques (grès glauconieux à spicules) et les roches siliceuses organiques.2. Roches sédimentaires siliceuses d’origine chimiqueLa part des organismes devient de plus en plus faible, tandis que croît l’importance de la précipitation, dans les roches qui vont être envisagées maintenant.Les silexLes silex (flint en anglais) sont des accidents siliceux en milieu calcaire, en particulier dans la craie; on les trouve aussi dans les produits de décalcification de cette dernière, les «argiles à silex» [cf. PALÉOSOLS ET SOLS FOSSILES]. De forme irrégulière et de couleur brune ou noire, ils sont formés surtout de calcédoine. Ils présentent fréquemment une patine blanche de calcédoine microporeuse (et non d’opale comme on l’affirme si souvent). La couleur blanche est due à la dispersion de la lumière. En effet, elle disparaît si l’on obstrue les microcanalicules avec un liquide injecté sous pression. Les observations de L. Cayeux ont prouvé que les silex étaient contemporains du dépôt de la vase crayeuse, et non postérieurs, comme on le pensait autrefois, car ils sont parfois remaniés dans le sédiment avant que ce dernier n’ait été consolidé, et ils ont «momifié» des flagellés dont on retrouve encore le protoplasme à l’examen microscopique (G. Deflandre). Certains silex renferment de gros organismes silicifiés (oursins, inocérames). D’autres sont creux (silicification incomplète) et emprisonnent parfois des minéralisations de quartz, de phosphate ou même de gypse. Employés aujourd’hui à l’empierrement et au bétonnage, les silex ont servi d’outils aux civilisations préhistoriques et de pierre de feu (silex pyromaques) jusqu’au milieu du siècle dernier (pierre à fusil).Les chaillesLes chailles ressemblent aux silex, mais elles sont de couleur brune et dépourvues de patine. Parfois, elles renferment un peu de calcaire et font alors effervescence à l’acide. Elles sont particulièrement abondantes dans les calcaires jurassiques de Bourgogne. Il existe dans la craie ou dans les calcaires tous les intermédiaires entre chailles et silex (par exemple, des silex bruns, blonds ou roses), et il n’est pas toujours facile de les distinguer lorsqu’il sont repris dans des alluvions. C’est pourquoi le terme anglo-saxon chert , qui voudrait réunir l’ensemble, se rencontre souvent dans la littérature géologique. En France, L. Cayeux en avait restreint le sens à celui d’accident siliceux en milieu siliceux, mais, dans cette acception, le mot «chert», qui prête à confusion, tombe en désuétude.Les chertsLe terme de chert désigne en effet aussi des dépôts siliceux lités ou interstratifiés, comme des schistes silicifiés, dont la porcelanite (ou porcellanite ). On désigne ainsi aux États-Unis une roche dure et dense, contenant, en plus de la silice, des minéraux argileux et des carbonates, dans la formation rythmique des Monterey Shales (Miocène de Californie)Accidents siliceux particuliersQuelques cas particuliers d’accidents siliceux méritent d’être signalés: les silex ménilites , rognons d’opale dans les marnes ludiennes de Montmartre et de Ménilmontant (d’où leur nom); les silex nectiques , dont la structure poreuse leur permet de flotter sur l’eau (calcaire de Saint-Ouen et gypse du Tertiaire parisien); la novaculite (du latin novacula , serpette) ou coticule , quartzophyllade) litée, légèrement feuilletée et très dure, faite de quartz microcristallin avec un peu de grenat (Paléozoïque de l’Ardenne, de l’Arkansas et de l’Oklahoma), utilisée comme pierre à aiguiser.Les meulièresLa partie supérieure de quelques formations tertiaires du bassin de Paris: caillasses du Lutétien supérieur, calcaire de Saint-Ouen d’âge bartonien moyen (Marinésien) et surtout calcaires de Brie (Sannoisien), d’Étampes (Stampien supérieur) et de Beauce (Aquitanien), renferme des accidents siliceux appelés meulières, développés soit à l’intérieur du calcaire, soit à l’intérieur d’argiles illitiques ferrugineuses. Elles sont soit compactes, soit caverneuses. Les premières sont des pierres à meules (d’où leur nom). Les secondes sont employées comme moellons en construction: elles constituent un matériau léger, non gélif, bon isolant thermique et phonique, sur lequel le mortier adhère bien, mais dont la faible résistance à l’écrasement limite l’emploi à la construction de pavillons.Les meulières compactes sont jaunâtres. C’est la présence d’oxyde de fer qui donne aux meulières caverneuses leur coloration brun-rouge. On y observe souvent des empreintes de mollusques d’eau douce (limnées et planorbes) et des oogones de charophytes. On a pensé pendant longtemps que les argiles à meulières étaient le résidu de la dissolution du calcaire, mais il semble aujourd’hui que la plupart d’entre elles aient pu se former directement dans une matrice argileuse, soit dans des mares, soit par pédogenèse en climat semi-aride, comme c’est le cas pour des meulières actuelles en bordure du Sahara et du Kalahari. C’est ainsi que la transformation d’illite en kaolinite s’accompagne de la libération de silice qui peut nourrir des concrétions d’opale ou de calcédoine.Dépôts hydrothermauxEnfin, au pôle purement chimique des roches siliceuses, on rencontre les dépôts de sources ou tufs siliceux, dont les geysérites sont l’exemple le plus connu; la silice étant beaucoup plus soluble à chaud qu’à froid, l’arrivée à l’air libre d’eaux siliceuses chaudes s’accompagne immédiatement de la précipitation de silice.Certains de ces dépôts hydrothermaux sont des pierres semi-précieuses connues sous les noms de calcédoine (dans les tons jaunes), de cornaline (rouge), de sardoine (brune), de chrysoprase (verte), d’agate ou de jaspe (calcédoines zonées), d’onyx ou sardonyx (couches parallèles de colorations variées).3. GenèseSolubilité et cristallinité de la siliceIl est utile tout d’abord de rappeler que la silice de l’hydrosphère est le plus souvent à l’état de solution vraie [cf. SILICE], et non de solution colloïdale comme on l’a si souvent affirmé. L’équation d’équilibre est (SiO2)n + 2n H2O 燎 n Si(OH)4.Le monomère Si(OH)4, monomolécule d’acide silicique, est libre et en solution vraie. À la température de 20-25 0C, l’équilibre est atteint pour une teneur de 120 à 140 ppm (ou mg/l) de Si2. A 100 0C, cette solubilité s’élève à 360-420 ppm. Elle est indépendante du pH pour les valeurs comprises entre pH 2 et pH 9, et s’élève ensuite considérablement dans les milieux alcalins, pour atteindre 6 000 ppm à pH 11 par suite de l’ionisation de l’acide silicique. Or, les solubilités des minéraux de la silice sont beaucoup plus faibles (de l’ordre de 8 à 20 ppm) que celle de la silice amorphe, si bien qu’une eau qui contient par exemple 100 ppm de Si2, sous-saturée pour la silice amorphe, est sursaturée par rapport aux formes cristallines dont elle peut assurer la croissance. Ces formes cristallines sont le quartz, la cristobalite de basse température, la calcédoine, assemblage fibreux de cristallites de quartz avec désorganisation du réseau à la limite des fibres, et l’opale, dont on a souvent dit qu’elle était amorphe, mais qui est en fait partiellement cristallisée en particules dispersées, d’où l’isotropie statistique qu’elle présente [cf. SILICE].Origine et précipitation de la siliceLa silice, très répandue dans les roches magmatiques (près de 60 p. 100), est mobilisée par l’altération superficielle et entraînée en solution dans les eaux courantes. Bien qu’elle soit aussi soluble dans l’eau de mer que dans l’eau douce, les rivières en contiennent souvent beaucoup plus: ainsi la teneur dans les eaux du Mississippi est de 4 à 7 ppm et seulement de 0,11 ppm dans le golfe du Mexique au voisinage du delta de ce fleuve. Une partie de la silice est alors fixée par les radiolaires, les diatomées, les silicoflagellés et les spongiaires, tandis qu’une autre partie précipite.Une source non négligeable de silice est représentée par les éruptions volcaniques et les phénomènes volcaniques secondaires. C’est ainsi que les éruptions ophiolitiques sous-marines, fréquentes dans les rifts océaniques antérieurement à l’orogenèse, sont à l’origine des pillowlavas et des «roches vertes» (cf. SPILITES). Elles favorisent la prolifération des radiolaires et, par suite, la formation de radiolarites qui, dans la plupart des chaînes de montagne, font partie du «cortège des roches vertes». Les dépôts de silice hydrothermaux (geysérite) ont une origine comparable, car la silice est trois fois moins soluble à froid qu’à chaud.Toutefois, la coagulation purement physique d’un gel de silice colloïdale semble exceptionnelle à l’air libre. Il n’en est plus de même en profondeur, où les solutions interstitielles des vases sous-marines (eaux connées) ont quelquefois une teneur en silice voisine de la saturation. Dans ces conditions, un refroidissement, ou une modification du milieu (apport d’électrolyte), peut provoquer la formation d’opale susceptible d’évoluer ensuite en calcédoine. Il est frappant de constater que les seules roches consolidées que traversent les forages sous-marins dans les formations récentes ou même cénozoïques sont des bancs silicifiés. C’est peut-être de cette manière qu’il faut expliquer la formation des silex et des chailles (cherts des auteurs anglo-saxons) dans les vases carbonatées, accidents siliceux, dans la plupart des cas contemporains de la sédimentation.Mais, comme c’est si souvent le cas lorsqu’il s’agit de phénomènes naturels, il faut se garder d’une explication univoque: tous les silex ne sont pas pénécontemporains du dépôt et il existe une convergence d’aspect entre la substance des rognons et celle des plaques de silex occupant des joints de stratification subhorizontaux ou même des diaclases obliques.La précipitation de silice peut être induite par un électrolyte ou un support organique. Les épigénies de gypse (quartz «gros sel» des caillasses lutétiennes dans le bassin de Paris), les pseudomorphoses de quartz se substituant à des rhomboèdres de calcite (cristaux «belle-croix» des sables de Fontainebleau) et les quartz bipyramidés parfaitement limpides des marnes du Trias illustrent le premier cas. Les innombrables organismes silicifiés, en particulier les bois fossiles pétrifiés, seuls consolidés dans une formation sableuse restée meuble, répondent au second cas.Quant aux silicifications superficielles (grésifications et meuliérisations), des observations récentes au Fezzan (Muller-Feuga) ont montré l’influence de la position de la roche dans la topographie: tendance à la quartzification des grès dans les parties hautes (cf. grès de Fontainebleau), opalisation, puis calcédonisation dans les marnes et calcaires au pied des versants (cf. meulières de Brie et de Beauce). D’autre part, les silicifications ne sont pas indifférentes au milieu. D’après Millot et Elouard, c’est la calcédoine qui caractérise les silicifications en milieu calcaire, tandis que l’opale, au moins originellement, affectionne les roches argileuses, et la quartzification s’installe dans les sables ou les grès faiblement consolidés.À l’heure actuelle, si les sources de silice et les conditions de sa solubilité sont bien connues, les mécanismes de fixation par les organismes et de précipitation en fonction du milieu, du substrat, du paysage et du climat, puis la diagenèse qui en résulte, ouvrent encore un large domaine d’investigation et d’expérimentation.
Encyclopédie Universelle. 2012.